Nous entrons sans doute dans une nouvelle phase de la vie sociale et politique. Le pouvoir macroniste veut aller vite pour satisfaire aux demandes du capital tout en préparant les échéances électorales à venir. Ainsi, la marche forcée pour faire accepter les ordonnances et accélérer le rythme des contre-réformes, tout en servant ouvertement, jusqu'à s'en vanter, les plus fortunés et les détenteurs de capitaux, se doublait jusqu'à ces dernières semaines d'une recherche d'union nationale. Cette marge de manœuvre semble se réduire au fil des jours comme en témoigne les débuts des mouvements sociaux caricaturés par les médias du système et empêchés par la force, comme on l'a vu avec les routiers. Ceci n'est pas un signe de force. Mais d'autres indices montrent que ce consensus se brise…
On nous bassine avec les dettes, mais l'impôt sur la fortune rapportera 6 fois moins au budget de L'État. Incapables de justifier ces orientations, les portes plumes et micros du macronisme ont lancé la semaine dernière un nouveau concept pour faire avaler l'amère pilule : il s'agirait d'un « pari ». Donc, le pari passe au rang de concept de gouvernement pour camoufler les intérêts que sert ce pouvoir réactionnaire.
En même temps, Monsieur Macron a engagé sa campagne des élections européennes avec son discours à La Sorbonne où il recycle un certain nombre d'actions ou de projets déjà proposés ou en cours de réalisation. Il enterre la souveraineté nationale au profit d'une « souveraineté européenne » soit une fuite en avant dans un fédéralisme néo-libéral. Ce souverainisme conduit à brader Alstom, les chantiers navals de Saint-Nazaire et d'autres encore .
Après une nouvelle manifestation de mépris du Président de La République à l'égard de nos concitoyens sur une chaîne de télévision américaine, un autre mot s'est répandu des jours et des jours dans l'espace public : la rue. « La démocratie ce n'est pas la rue » a t'il déclamé pour disqualifier toute opposition à ses choix et toute forme d'intervention populaire.
Le mouvement syndical et social serait ainsi réduit à une masse informe d'individus agglomérés sans but, ni conscience, déambulant au gré des humeurs dans « la rue ». Ce n'est pas la première fois que des dirigeants politiques et patronaux utilisent cette expression méprisante. Ceci est repris par les médias et s'en est suivi un débat où les uns et les autres cherchent à s'approprier les mérites historiques de « la rue » dans les conquêtes sociales... La réduction des oppositions populaires à ce vocabulaire méprisant est choquante. Dans « l'histoire de France », ce qui a réussi à arracher de nouvelles conquêtes démocratiques, sociales, à s'opposer au colonialisme, au fascisme, aux régressions sociales, aux atteintes aux libertés, ce n'est pas « la rue » mais une combinaison d'actions, de débats, d'informations, de travail parlementaire, faisant « mouvement majoritaire » afin de faire progresser des objectifs politiques. C'est la construction d'un nouveau rapport de forces social, politique, culturel et idéologique à la fois.
Toujours, il s'est fait dans l'unité, jusqu'à faire basculer des fractions du camp adverse en y allant chercher des convergences au nom de l'intérêt national ou général. Il a revêtu diverses formes, selon les périodes ou les enjeux, mais il a toujours porté cette caractéristique : travailler à l'union des forces pour chercher le point de bascule qui permet de gagner au service des intérêts populaires.
Cela a été le cas avec le Front populaire, les Francs-tireurs et partisans ou les forces françaises de l'intérieur dans la résistance, les mouvements anti coloniaux, féministes ou du grand mouvement de 1995 qui n'avait cessé de s'élargir jusqu'à la victoire, préparant le gouvernement de gauche de 1997. D'ailleurs, l'intérêt général ne nous commande pas d'occuper la rue pour toujours, mais de créer un rapport de force pour accéder à toutes les institutions et les transformer au service de l'intérêt du monde du travail, de la culture, des jeunes et des retraités.
C'est cela qui s'oppose en s'élargissant au saccage du droit du travail et à d'autres conquis et non « la rue ». Ne laissons jamais les idéologues de la bourgeoisie et du capital nous tendre ces pièges jusqu'au triturage permanent des mots.
Patrick Le Hyaric