Depuis plus de cinquante ans, à chaque crise financière ou géopolitique, tous les financiers se réfugiaient dans ce qui paraissait la valeur la plus sûre au monde : les bons du Trésor américain. Lors de la guerre en Ukraine et de la pandémie du Covid ils ont continué à le faire
Brutalement en apparence mais des signes avant coureurs n'ont pas manqué, malgré les évènements dramatiques de Gaza, non seulement personne ne se précipite plus pour acheter des bons du trésor mais leurs détenteurs vendent désormais en masse ces titres. Les taux d’intérêt sont passés de 0,25 % à 5,5 % entre janvier 2022 et septembre 2023 et pourtant la masse des bons en circulation a baissé de 5% . Et cela au moment ou le plafond de la dette américaine continue à monter. En clair les Etats-Unis continuent à vivre à crédit, mais c'est désormais le crédit qui fait défaut.
Bloomberg s'affole." La Fed a perdu le contrôle du marché obligataire " Marc Giannoni chef économiste à la Barclays s'affole "la possibilité que quelque chose casse, que des dysfonctionnements apparaissent augmente" .Jim Reis stratégiste à la Deutsche Bank s'affole: " J’ai du mal à voir comment les récentes hausses des taux n’accroissent pas le risque quelque part dans le système financier, compte tenu de la fin abrupte de près de quinze années au cours desquelles les autorités ont tout mis en œuvre pour contrôler les taux"
Pourquoi cette inquiétude ?
Le monde financier sait parfaitement que les bons du trésor sont bien plus qu’un instrument de dette du gouvernement américain. Ils constituent l’un des piliers du système financier international. L’ampleur de ce marché, évalué à 25 000 milliards de dollars (environ 23 700 milliards d’euros), donne l’assurance à tous les détenteurs de ces titres qu’ils pourront les acheter, les revendre, les échanger à tout moment. Toutes les grandes banques centrales du monde en détiennent dans leur portefeuille de réserves. Ces titres sont pour elles comme de la quasi-monnaie en dollars. Ils étaient le canal privilégié pour recycler les excédents commerciaux et financiers mondiaux. La Chine, le Japon, l’Arabie saoudite, qui ont dégagé d’immenses excédents commerciaux au cours des dernières décennies, figurent parmi les grands possesseurs de dettes américaines. Les banques, les fonds de pension, les assurances, les fonds d’investissement aussi. Valeur refuge, ils servent de référence à tous les autres titres de dette. Prêts aux entreprises, prêts hypothécaires, prêts à la consommation mais aussi autres dettes souveraines, tous s’établissent en fonction de la dette américaine, Une perte de valeur des bons du trésor serait donc une catastrophe, et c'est ce qui est en train de se produire.
Que s'est-il donc passé?
La Chine avait un portefeuille évalué à plus de 1 200 milliards de dollars en 2021, les institutions chinoises figurent parmi les premières détentrices de bons du Trésor américain. le gouvernement chinois a vendu pour 300 milliards de dollars de bons du Trésor depuis 2021, dont 30 milliards de dollars depuis avril. Et surtout elle n'en achète plus. Et il n'y a aucun autre pays qui puisse compenser cet énorme trou. La Chine l'a fait pour répondre aux sanctions. Confisquer l'or russe, interdire le commerce en dollars a été une monumentale erreur, lecteurs et lectrices le savent dans l'appréciation de la puissance réelle des Etats-Unis. Mais c'est surtout parce qu'en un an le déficit budgétaire des Etats-Unis a plus que doublé, pour atteindre la somme astronomique de plus de 2 000 milliards de dollars en 2023. Jouer au gendarme du monde coûte cher, trop cher désormais.
La question est nouvelle outre-Atlantique et encore sous- estimée.. Pendant des décennies, les gouvernements américains ont accumulé les déficits commerciaux et budgétaires sans se soucier des conséquences : le monde extérieur finançait. Le dollar monnaie mondiale avait réponse à tout. La Banque Mondiale, le FMI, Swift, l'OMC l'épaulaient.
Fondamentalement c'est donc la fin prévisible du dollar monnaie mondiale qui secoue le monde. Les Américains sont désormais soupçonnés de ne plus être en mesure d'honorer leur dette. C'est la raison profonde de la crise des bons du trésor. Et il n'y a qu'une solution : réduire les dépenses militaires fantastiques partout dans le monde. Biden et les siens sont au pied du mur, même s'ils ne l'ont pas encore compris.
Henri Ausseil