C’est le faux débat par excellence. La ville est effectivement devenue le territoire par excellence de l’organisation sociale. Dès lors, revient sur le devant de la scène le sempiternel débat sur l’obsolescence de l’État national. La question traditionnelle est de savoir comment fonctionne le grand « tout » de l’État : de façon centralisée ou décentralisée. Dans les dernières décennies, la réponse s’est portée vers la seconde hypothèse, ce que l’on peut tenir pour un progrès.
La décentralisation gage de démocratie ?
Les structures moins étendues sont par définition plus proches de la population, et donc mieux à même d’assurer la participation du plus grand nombre à la délibération, à la décision et à l’évaluation des choix engageant le devenir d’un groupe humain. La logique de la décentralisation et du transfert des compétences vers les échelons dits autrefois « subalternes » relève à l’évidence de la nécessaire démocratisation de la gestion publique.
Mais la décentralisation s’opère sur fond de dérégulation générale.
Contrairement à l’opinion reçue, ce n’est pas que l’État a perdu de son importance stratégique. On considère simplement que la répartition générale des ressources ne procède plus de la « volonté générale », mais de la seule logique financière et marchande. L’impératif de plafonnement de la dépense publique et de désendettement de l’État est devenu un dogme canonique, une base du « consensus de Washington élargi aujourd’hui à l’ensemble des États du capitalisme rentier.
. La « gouvernance » se substitue au « gouvernement ».
Théoriquement, il s’agit d’introduire une plus grande souplesse dans la détermination des choix publics. En pratique, la gouvernance fait primer la rationalité supposée compétente sur le temps plus long et plus complexe de la consultation démocratique. Au lieu de diffuser la décision vers le bas, elle tend à la concentrer à toutes les échelles de territoire. La norme technique prend le relais de la loi et enserre la décision dans des mécanismes technocratiques pas moins contraignants que ceux de la logique administrative classique.
Déconcentration n'est pas décentralisation
La décentralisation fonctionne de fait comme une simple déconcentration, qui pousse à intérioriser vers le bas les « contraintes » de la bonne gestion publique. Au lieu d’élargir le débat démocratique, en le faisant porter sur l’allocation des ressources en même temps que sur la définition des besoins, elle pousse à intérioriser les inégalités croissantes entre les territoires. Dans une pure logique de concurrence, les institutions décentralisées, communales ou supracommunales, sont incitées à rechercher la compétitivité et l’attractivité de leur territoire de compétence, fût-ce au détriment des territoires voisins.
Tiré de 100 paroles sur lequel l'article d'Antoine Châtelain est disponible